Quoi de commun entre Throbbing Gristle et Ennio Morricone, Rioji Ikeda et Belle & Sebastian, Morton Feldman et les Rolling Stones, Astor Piazzolla et Simon Fisher-Turner ? Ils sont tous pr?sents, dans l'esprit ou dans la lettre, sur cet Yrieix E.P., nouvel album du plasticien et ? compositeur ? Rainier Lericolais. Les amateurs d'arts plastiques ont pu d?couvrir Rainier Lericolais et son travail (sculptures, installations, dessins, peintures, photographies?) ? la FIAC ou dans les pages de l'hebdomadaire Aden.
Quant aux fans de musique ?lectronique, ils ont pu se familiariser avec son univers sonore au fil de plusieurs disques et d'iconoclastes interventions live. Tous, en tout cas, et bien d'autres encore on l'esp?re, risquent bel et bien de succomber ? la puissance d'?vocation de ce nouveau disque. Un disque fort et dense, au sujet duquel on emploierait volontiers l'expression de ? coup de ma?tre ? si la notion de ? ma?tre ? n'?tait pas l'une de celles que Rainier Lericolais n'a justement cess? de remettre en question dans ses recherches cr?atives. En effet, comme il le soulignait dans les pages d'Octopus, sa musique est le fait d'un non-instrumentiste, de ? quelqu'un qui ne fait pas que de la musique ? ; plut?t d'un artiste qui, ? l'instar d'un Carsten Nicolai, chercherait ? entrem?ler ?troitement son propos visuel et sonore, s'attachant avant tout ? la dimension plastique du son : ? Le son est pour moi, avant tout, un dessin. ? Pour composer ses morceaux, Rainier a recours ? un unique instrument : l'ordinateur, qui, via la technique du Direct-to-Disk, lui permet de r?aliser des albums constitu?s exclusivement de sources digitales ? essentiellement des ?chantillons emprunt?s ? des disques existants, mais aussi, ? l'occasion, des fichiers son fournis par des musiciens amis ? remarquablement rassembl?es et retrait?es.
Que personne ne se m?prenne pour autant : la musique de Rainier est tout, sauf c?r?brale et superficiellement distanci?e. Avec un humour qui est la marque des vrais esprits libres (qu'ils se nomment Erik Satie, Marcel Duchamp, Mauricio Kagel ou Pascal Comelade), elle laisse s'exprimer une sensibilit? qui est ? la d?mesure de la culture musicale de son auteur. Au fil des 11 plages de cet Yrieix E.P., l'auditeur est irr?sistiblement invit? ? naviguer au fil d'une succession d'ambiances d'une incroyable richesse : un univers o? les guitares d?structur?es, guid?es par des voix masculines atypiques (morceaux n? 3 et n? 8), ont autant droit de cit? que l'electronica dansante (n? 10) ; un univers dont le g?niteur se paie m?me le luxe, au passage, de r?inventer le R'n'B (n? 6) ou la musique ? savante ? (voir la plage 11, magistral et hypnotique montage de samples de piano qui r?unit l'esprit de Liszt, de Ligeti et des minimalistes de tout poil, de Morton Feldman ? Sylvain Chauveau).
Rainier Lericolais r?ussit avec ce disque le tour de force de proposer une musique exp?rimentale jamais aride, qui n'?vacue ? aucun moment la dimension sensuelle (en l'occurrence, m?lodique) ; une suite de compositions ? la fois anonymes (elles ne portent jamais de titres) et fortement personnelles ; une musique exclusivement num?rique mais qui pourtant parvient ? faire (re)produire une sensation organique. Yrieix E.P. est l'?uvre d'un artiste libre et m?r, d'un amoureux de musique selon lequel ? il existe diff?rentes fa?ons de conserver un souvenir : les catalogues, les livres... Mais le disque est un moyen qui permet de se raconter ensuite d'autres souvenirs ? partir d'une musique ??
Quoi de commun entre John Cage, Christian Fennesz, la pianiste Martha Argerich ou le chanteur Christophe ? Ils font tous partie de la s?rie de peintures hommage que Rainier Lericolais consacre ? des musiciens dans le cadre de son exposition au FRAC Limousin de Saint-Yrieix-la-Perche jusqu'en novembre 2003: une exposition personnelle dont le pr?sent album constitue le pendant sonore.
(David Sanson)
(source: Optical Sound_2003)